
jeL’histoire, dit-on, ne se répète pas. Ce n’est pas discutable. D’autre part, il n’y a pas que le passé dont la connaissance permet parfois de prédire les tempêtes à venir, car les solutions à une question donnée ne sont pas aussi variées ou nouvelles qu’on pourrait le penser. Par conséquent, il est utile de savoir comment l’État a résolu ses problèmes de déficit et d’endettement, les grandes questions de l’heure et des années à venir.
Fondamentalement, il existe trente-six solutions : réduire les dépenses, augmenter les impôts, voler les créanciers et vendre ce qui peut l’être. Ces solutions ne seront pas sans douleur pour les contribuables et les citoyens.
On cite souvent l’exemple de la banqueroute de la fin du règne de Louis XVI, qui conduisit à la révolution, ou directoire, où le capital des emprunts fut officiellement réduit des deux tiers, et seul le reliquat fut remboursé. 5% par an – ce qui signifie au moins vingt ans d’abstention pour les emprunteurs.
Cependant, on a tendance à oublier l’épisode où le ministre des finances de la Première Restauration (1814-1815) donna la médecine du cheval à la France criblée de dettes suite aux événements qui marquèrent la fin du règne de Napoléon. En remplaçant les mots d’hier par les mots d’aujourd’hui, les dirigeants d’aujourd’hui peuvent identifier les chemins inévitables qu’ils suivront un jour – qu’ils le veuillent ou non.
La première leçon apprise par le gouvernement de Louis XVIII est que plus on attend pour régler les problèmes d’endettement et de déficit, plus le breuvage devient amer. Bref, mieux vaut essayer un peu pendant qu’il est encore temps que d’être contraint de faire les sacrifices les plus horribles quand il est trop tard.
Allocations, “argent magique”
La France et sa dette publique c’est une vieille histoire. La mauvaise performance du fonds a laissé la question sans solution et a fait tomber l’ancien régime. Pour faire table rase, les révolutionnaires ont créé “l’argent mystère” – les dépossédés -, les “hyperriches” – ont confisqué et revendu les biens du clergé et de la noblesse, gonflé les dettes et impayés.
En même temps, étouffés par les intérêts des emprunts, la guerre était à nos portes, et le gouvernement ne faisait son œuvre que dans les affaires militaires. La dette a été portée en quatre ans à une somme faramineuse de plus de 3 milliards de francs à l’époque, soit cinq à six ans de recettes fiscales. Comme le disait le Directoire (1795-1799), elle n’y échappait qu’en corrompant totalement et simplement ses débiteurs. Néanmoins, cette solution douloureuse – souvent la seule, à vrai dire – a permis à l’Etat de retrouver ses couleurs budgétaires. Napoléon en profita et, jusqu’au tournant de son règne, en 1811, sut gérer les finances publiques en bon père de famille.
Lire la suiteBruno Le Maire sonne toxique sur les dépenses publiquesLes années suivantes, tout a mal tourné. Déficits et dettes revenant sous les coups d’une crise économique que personne n’a vu venir – éclatement de la bulle immobilière, baisse de la production, chômage et, pour ne rien arranger, mauvaises récoltes – et des crédits qui rongent les campagnes russes (1812) et les hommes.
Lorsque Napoléon tombe en mai 1814, le trésor public est vide, avec des arriérés d’environ 670 millions de francs et des dépenses futures de près de 500 millions. La demande globale à court terme correspond aux revenus sur deux ans. Le PIB de la période est estimé à 10 à 15 milliards – avec une grande marge d’erreur. La dette équivalait donc à 10 à 15 % du PIB, ce qui était à juste titre scandaleux à l’époque.
Vente de 300 000 hectares de bois
Pour Louis XVIII, restauré en mai, il était hors de question de ne pas honorer la parole de l’État, si elle avait été donnée par un “usurpateur”, de lever encore moins les impôts – on ne dit toujours pas que les impôts sont obligatoires jusqu’à à 15. % aussi. Son gouvernement décrète une véritable purge conçue et mise en œuvre par Joseph-Dominique Louis (1755-1837), ministre des Finances, conseiller d’État et petit-fils de l’Empire.
Ils ont commencé par quelques tentatives pour confisquer l’argent personnel de Napoléon, arrêter les travaux du palais ou acheter des fournitures militaires. Ils ont rendu possible la rétention pendant les premières semaines. À moyen terme, il ne restait plus qu’à augmenter les revenus et à réduire les coûts.
Ces choix critiques ont été faits sans tact et… par la famille royale exilée continuant à renier ses promesses, dont la plus importante était la suppression totale des contributions indirectes. Puisqu’ils représentent plus de 20% du chiffre d’affaires, s’en passer serait suicidaire. La promesse n’a donc pas été tenue. Cependant, notez que le baron Lewis n’a pas créé de nouvelles taxes et augmenté le taux de celles existantes.
L’heureux ministre décide alors de vendre 300 000 hectares de bois confisqués au clergé et non revendus depuis la révolution. Cette décision a permis de rembourser les créanciers sans attendre une vente réelle. Louis a pu s’en frotter les mains : 562 millions sont entrés dans la colonne des recettes de l’Etat suite à la vente de “bijoux de famille”.
Lire la suiteUne crise du crédit vous attendLe ministre a rapidement préparé un “paquet d’austérité” pour aligner les dépenses sur les recettes. Dans ce département, ses bureaux ont fait un travail remarquable mais épouvantablement médiocre. Pour la première fois, la technologie a imposé des décisions aux politiciens. Le budget de 1814 a coupé près de 25% de son coût. L’armée et la marine sont les premières victimes : en 1814 les dépenses militaires passent de 816 à 516 millions de francs ; Le projet de budget de 1815 les fixe à 251 millions.
Des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés et, si cela ne suffisait pas, les cotisations n’ont pas été payées. La logique est invraisemblable : un régime pacifique n’exige pas de la monarchie qu’elle maintienne sous les armes des centaines de milliers d’hommes ou, à la même échelle, envisage de réorganiser la marine.
Gros nuages de mécontentement
Même prévenu par les conseillers les plus clairvoyants du roi, le ministre était, oserait-on dire, « la chaussure droite ». Sous la houlette de Nicolas Sarkozy, il a maintenu sa décision de supprimer plus d’un des deux postes militaires. Le 12 mai 1814, une ordonnance ordonne le retour au pays d’environ 200 000 soldats, dont 10 000 à 12 000 officiers mis à la demi-solde. Cette action a ensuite été amplifiée.
Les communes sont sommées de remettre au gouvernement les dettes contractées avec elles « lors des derniers événements militaires », notamment pour l’avance en argent ou en biens aux troupes qui y sont stationnées, et autres victimes. Les arriérés versés aux municipalités sur le budget national nous rappellent la situation actuelle. Le vent est connu : le transfert de charges ne s’accompagne pas de ressources, et dans le cas de notre choix, l’Etat, pour sa part, a accepté de faire des économies réelles et apparentes.
Lire la suiteDette de l’égoïstePar ce schéma, le gouvernement espérait atteindre un budget équilibré – et même un léger excédent – d’ici la fin de 1815, une grande partie de la dette publique étant encore neutralisée par des obligations à rente. Techniquement, le travail du Baron Lewis est parfait. Pourtant la désaffection qu’elle provoqua porta de grands nuages, s’étendit sur le territoire et se répandit dans toutes les couches de la population : « la guerre des aubergistes contre le gouvernement » — selon le mot du ministre Beaucont, l’unité du gouvernement n’en fut nullement troublée. — ; grogne contre les contributions indirectes ; ajoutant à la frustration personnelle avec la suppression de dizaines de milliers d’emplois publics ; L’irritation de l’armée ; Spéculations de la presse sur les frais de justice ; L’opposition a fait campagne sur la répartition inéquitable des efforts et l’idée que les contraintes budgétaires ne s’appliquaient pas au clergé, aux riches et à la noblesse dont auraient bénéficié les Bourbons.
Selon l’homme d’État Prosper de Barante, « le bien et le mal n’apparaissent que dans leur rapport à l’utile », et en laissant carte blanche à un ministre des finances technocratique, le roi prend le risque de déplaire au monde entier. Les résultats comptables et financiers, un an plus tard, le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, enclenchent le processus de discrédit du régime dans l’opinion et l’adhésion.
Après Waterloo, la dette publique a subitement augmenté de près de deux milliards. Mais cette fois, la Restauration offrit du temps pour la rembourser et le baron Lewis fut invité à reprendre son siège au Conseil d’Etat.